Service funèbre et vaccination… 

Où est Jean sur la photo de promo  ?

( A droite de la photo, 2ème rang assis en partant du bas, 3ème élève à gauche de l’Officier)

 

Draguignan 22-01-1915 Extraits      (P3- 2 sur 16)

Jeudi dernier nous avons été passés en revue par un colonel venu pour présider le service funèbre du colonel Leblanc du 61ème d’Infanterie tué à l’ennemi. Levés à 5h et équipés en tenue de campagne nous avons posé, toute la garnison de Privas, de 7h à 9h1/2 sur le champs de Mars et je vous assure que j’en avais assez, quoi que le sac ne fût pas chargé et qu’il n’y eut qu’une couverture. Mais cette revue ne devait pas être qu’une simple revue de forme car depuis tous les hommes valides de la classe 14 à la réserve de l’active comprise ont été expédiés sur le front, pour ne laisser comme embusqués ou cadres d’instruction que des blessés, des évacués ou des territoriaux. C’est ainsi que tous les jeunes caporaux de la classe 14 qui restaient comme cadres de la classe 15 sont déjà expédiés en majorité et les autres ne coupent pas au premier convoi. Dans le premier départ qui eu lieu le lendemain se trouvait justement le caporal de mon escouade et le premier caporal que j’eus à mon arrivée à Privas ; aussi nous allâmes le jeudi soir avec un certain nombre de nos camarades faire un dîner d’adieux avec les deux caporaux en question ; ce devait être aussi mon dîner d’adieux.

                   

Le même jour également après midi l’on nous estima et paya nos effets, mais combien et quelle quantité ! …

D’abord on me paya qu’une paire de souliers 16 F (ou S ou CT) (Francs ou Sous ou Centimes ?) 1 franc1914=3,35€ 2016 1 Franc = 20 sous) le maximum, mon chandail 4 F (ou S ou CT) le maximum également, puis 1 chemise 2 F (ou S ou CT), 1 flanelle 3,75 F (ou S ou CT), 1 caleçon 3,25. Le tout faisant l’énorme somme de 29 F(ou S ou CT). Ma couverture ne peut m’être payée qu’au départ pour le front. Enfin on est forcé d’y passer

 

Vendredi après midi ainsi que je vous l’ai annoncé sommairement nous avons subi la première injection contre la typhoïde. L’opération elle même n’est pas très douloureuse mais ce sont les suites, moins de 2h après la piqûre je ne pouvais plus bouger le bras et l’épaule me faisait fort souffrir. La nuit je fût fort agité et le lendemain je suis resté au lit une bonne partie de la journée ayant assez de fièvre, comme tout le monde d’ailleurs, car il y en a même qui prirent des crises. La 2ème nuit fût plus calme ainsi que la journée du dimanche où nous fûmes consignés.

 

Mais pendant ces jours où j’attendais impatiemment comme vous devez bien le penser le résultat de mon examen, je fût harcelé sans cesse par les plaisanteries et les faux bruits ce qui m’énervait au dernier degré. Le dimanche après midi j’appris presque avec mystère que la dépêche était arrivée au bureau du commandant major. Aussi depuis ce moment jusqu’au lundi au rapport, c’est à qui serait le mieux renseigné et l’on m’avait presque convaincu de mon échec. Aussi vous pensez si je fus heureux d’entendre lorsque le lundi au rapport je m’entendis nommé pour partir le soir même pour Draguignan. Je voulais bien vous envoyer une dépêche pour vous l’annoncer mais je n’en eu pas le temps, car de toute la soirée nous eûmes à peine le temps de souffler. Nous touchâmes la tenue de guerre complète avec 2 tenues de drap et 1 tenue de treillis, et il fallu monter tout le fourbi ainsi que mon linge et mes couvertures sur le sac et comme je le pus. Nous passâmes 2 revues, 1 par le capitaine et 1 par le commandant qui nous fit changer tout l’équipement en toile que nous avions touché contre un équipement en cuir.

Puis ne pouvant emporter ma valise , je pliais mes civils et mes molletières dans la valise. J’y mis également mes souliers neufs, voici pourquoi : il nous fallait venir ici avec 2 paires de souliers or comme l’on ne m’en avait payé qu’une, je n’aurais eu pour partir plus tard qu’une paire de souliers réglementaire que j’ai préféré toucher de suite et user ici en conservant les miens. Ceux que j’ai touchés ne vont pas mal et sont à l’avantage car outre les semelles que j’ai gardées j’y mets 2 paires de chaussettes facilement. Mais cette valise, je n’eus même pas le temps de l’apporter à la gare pour vous l’expédier, je dus la laisser à un camarade qui a du la faire enregistrer et peut être l’avez vous déjà maintenant.

Quand à la lettre que je vous ai signalée comme ne m’étant parvenue que juste avant mon départ cela m’étonne beaucoup car l’adresse était très bien mise. Ainsi pour éviter à l’avenir cet inconvénient ou tout au moins pour me permettre de m’en apercevoir, vous pourriez numéroter les lettres et les cartes que vous m’adressez et je procéderai moi même de la même façon et je commence aujourd’hui.

Pour ce qui est des cartes du Jour de l’An j’ai envoyé quelques cartes de vues, car l’on ne trouve pas autre chose ici, à peu près aux mêmes personnes que les autres années. Toutefois j’ai oublié Trévoux, Jallieu, et je ne m’en souviens pas exactement. Quant à ce que vous avez fait à ce sujet, comme vous avez fait, c’est bien, après tout à la guerre comme à la guerre et l’on ne peut pa s s’offusquer d’un oubli dans ce sens.

J’oubliais de vous dire en vous parlant de ma valise que j’ai apporté mon coffret ici.

Pour ce qui est du lavage (des vêtements), j’avais essayé une 1ère fois de le faire à Privas, mais je ne suis pas outillé pour cela et aussi n’y connais absolument rien et j’ai préféré me faire blanchir (faire appel à une blanchisseuse) ce qui était là bas très bon marché et ici je continuerai à faire ainsi car outre les raisons précitées cela me serait en outre matériellement impossible comme temps disponible.

Pour ce qui est du papier que Marguerite trouve pas digne d’un soldat, ainsi que de l’écriture, je vous prie d’être indulgents, car au régiment et surtout en temps de guerre, on écrit sur ce que l’on trouve et comme l’on peut. Ainsi ce soir les camarades viennent de se coucher et moi assis sur mon matelas par terre, mon coffret sur mes genoux, la malheureuse fumeuse (lampe à pétrole)à proximité, j’écris de mon mieux. Vous voyez que ce n’est guère confortable.

Quant au travail ici, c’est ainsi que je vous l’annonçais, dur, très dur. Hier nous avons manœuvré toute la journée au champ d’exercice, le soir nous étions fourbus.Mais cette nuit une chute abondante de neige a empêché de continuer ce qui était convenu. Aussi ce matin nous ne sortîmes qu’une heure environ de 7h1/2 à 8h1/2 faire du pas de gymnastique dans la neige pour nous dégourdir.

Nous eûmes ensuite cours de topographie. Cet après midi équipés (baïonnette, cartouchières et fusils) nous partîmes en marche dans la montagne à midi1/2 , cette marche dans la neige était des plus éreintantes, car l’on glissait beaucoup et l’on se tordait les pieds. De plus nous marchons au pas des chasseurs alpins, ce qui est très pénible. Arrivés au sommet d’une colline, au milieu des oliviers, notre adjudant nous fît une courte théorie de service en campagne puis de l’école de section et toujours au pas de gymnastique, rentrés au quartier à 4h, on nous servit un bon thé bien chaud, puis de nouveau cours de topographie. Vous voyez qu’on ne nous amuse pas. Ce soir je n’en puis plus.

Mais comme nourriture l’on nous soigne pas mal, la soupe est excellente et on la dévore à pleine gamelle, assis sur le coin d’un matelas par terre, le rata (ragoût grossier à base de viande et de légumes) est également bon et assez abondant. Mais cependant cela ne suffit pas, car l’on dépense ses forces et il faut se nourrir. J’ai un appétit féroce et je dévore. Aussi parès midi une tranche de saucisson, un morceau de fromage et 2 dominos ne me font pas peur, le soir la même chose. Mais ce qui me fait plaisir ici c’est que contrairement à Privas le vin est bon et bon marché 0,25 ct  le litre. Aussi je m’en offre, cela est toujours meilleur que l’eau et donne un peu plus de force.

Ce qui laisse un peu à désirer c’est le casernement, couché par terre cela passe encore, mais ce sont les locaux qui ne sont pas faits d’ailleurs pour des chambrées et qui ressemblent à des cellules de prisons dont on se plaint. Seulement, quoique on fasse bien ici tout ce que l’on peut pour nous, on nous a répondu pour cela arrangez-vous avec des moyens de fortune, cela vous apprend à vous débrouiller et quoiqu’il en soit vous êtes toujours mieux que vos camarades qui sont sur le front. C’est ainsi que dans nos chambrées où nous sommes de 5 à 10 il a fallu acheter des serrures pour fermer pendant que nous sommes à l’exercice, faire des râteliers d’armes, des planches à sacs, des portes manteaux, séchoirs, porte lampes etc … De plus nous sommes obligés de tout nous procurer, cahier de cours, cartes, ciseaux, etc ….

Aussi pour me mettre un peu plus à l’aise je serais très heureux que vous m’expédiez au plus tôt (faites un paquet bien solide car on les martyrise beaucoup sur les chemins de fer et ils arrivent en piteux état), outre des provisions de bouche car les miennes s’épuisent :

– 1er : mon cours de topographie fait à la machine à écrire par le lieutenant du brevet et qui doit se trouver dans mon formulaire de l’Ingénieur

– 2ème : 1 brosse à habit

ma brosse à cheveux, car l’on nous a fait tondre ras

des brosses à cirage, 1 double, 1 dure à faire briller

1 boite de graisse comme celle que j’ai apportée.

Il faut qu’on soit d’une tenue irréprochable.

Je ne vois pour ce soir plus rien à vous dire et comme il se fait tard je vais me coucher en vous embrassant tous bien fort et bien tendrement.

Votre petit élève officier qui vous aime bien.

Jean Genin

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