Jean apprend qu’il est bien coté par ses supérieurs…

Draguignan – 9-04-1915    (P3- 12 sur 16)

Mes chers parents

C’est ce matin alors que j’étais encore au lit que j’ai reçu votre lettre qui m’a bien fait plaisir. Vacciné hier au soir de la 3 ème piqûre contre la typhoïde j’ai passé une nuit épouvantable et aujourd’hui une bien triste journée. Jamais je ne fus si fatigué, m’étant couché à 7heures car je ne me tenais plus debout j’ai eu aussitôt une fièvre de cheval comme jamais je n’en eus, je claquais des dents et eus des soubresauts nerveux tout en chauffant et gelant à la fois, cela pendant plus de 2heures sans arrêt. Le reste de la nuit se passa en insomnies et en douleur avec des cauchemars terribles. Aujourd’hui quoique j’aille mieux je suis très abattu et très fatigué avec un fort mal de tête, de plus il m’a été impossible de manger. Ajoutez à cela le confortable de la literie et des soins dont on est entouré, vous jugerez comme il est gai d’être malade dans ces conditions. Si lorsqu’on se porte bien on s’habitue facilement à coucher sur la dure, il n’en est pas de même lorsqu’on est malade, je vous promets qu’on la trouve mauvaise.

En outre il ne faut pas parler de se faire porter malade pour ce motif car on est immédiatement mal coté, et à moins de prendre des crises ou de tomber en syncope, le major vous console en vous disant ce n’est rien, reposez vous. Entre camarades il ne faut pas en parler on est tous plus ou moins attrapé et chacun se tire d’affaire comme il peut.

Que c’est loin d’être la vie de famille et comme on l’envie quelques fois.

Néanmoins cela m’a servi de résister à toutes les misères du métier car je viens de savoir par une indiscrétion que j’étais un des mieux cotés.

Tandis que nous cantonnions à Ampus avant de reprendre notre manœuvre le capitaine reçut une dépêche annonçant la visite d’un général venant préparer l’examen ; ceci eu le don de faire écourter le programme et partant à 5 heures du matin nous regagnâmes en hâte Draguignan par le plus court chemin ; ce fût pendant ce temps que le jeune planton du bureau vit l’état des aptitudes de chacun dans toutes les branches particulières , état qui devait être remis au général. Aussi comme je suis très camarade avec lui il vint m’annoncer que j’étais classé dans les 5 premiers avec la mention générale Bien 19,5. Vous pensez si je fus heureux car jamais je n’avais même osé espérer une si bonne place. Pourvu que je me maintienne bien à l’examen cela sera au dessus de toutes mes espérances.

Beaucoup auraient pu avoir de meilleures notes mais d’avoir tiré leur flemme ou de s’être fait porter malade, pour les marches et manœuvres leur ont causé beaucoup de tort ; car il a été attaché une importance spéciale à l’endurance à supporter les fatigues ainsi qu’à la santé générale. Or à ce point de vue je n’ai jamais rien eu, sauf mes 8 jours d’hôpital en observation de scarlatine qui ne m’ont porté aucun préjudice car c’était à ce moment là par mesure de sécurité.

Enfin bref j’avais adopté en arrivant ici un programme de travail et d’endurance, et je vois avec plaisir que cela m’a servi et je ne regrette pas mes peines, encore quelques jours et ce sera fini avec un succès dont je ne doute plus maintenant.

Je ne sais pas encore la date exacte de l’examen mais il commencera certainement ou jeudi prochain, ou le lundi 19 courant, en tout cas en attendant je vais turbiner dur.

Quand au billet de 20 F je l’ai bien reçu et je vous en remercie beaucoup, je comptais justement vous en demander aujourd’hui.   

Pour mes provisions de bouche, elles sont en effet épuisées et si je ne vous en ai pas demandé le renouvellement, c’est précisément parce que je comptais le faire seulement en rentrant à Privas.

Je termine car mon mal de tête empire et mon bras me faisant assez mal je vous prie d’excuser ma brièveté et la mauvaise écriture J’espère que je passerai ce soir une nuit meilleure et être demain à peu près guéri.

En attendant de vos nouvelles ainsi que le devoir de Marguerite je vous embrasse tous bien tendrement,

Votre petit soldat qui vous aime de tout son cœur,

Jean Genin

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