Invité au mess des sous-off 

Dijon – 23 novembre1914     (P1- 7 sur 7)

Mes chers parents

Toujours rien de nouveau, soit au sujet de mon départ soit au sujet de mon incorporation au 5 ème Génie.

La semaine dernière tous les jeunes gens étaient invités à la caserne de la gendarmerie pour hier à 9 heures, pour nous mettre au courant d’une communication importante.

Croyant apprendre quelque chose d’intéressant me concernant je me suis empressé d’y aller. Mais désillusion, après nous avoir fait un beau discours, le commandant de gendarmerie nous annonça que dans le but d’être plus vite instruit et plus vite prêt à partir au feu, il avait été décidé en attendant l’incorporation de la classe, de nous faire faire l’exercice d’apprendre le maniement du fusil, les dimanches et jeudis, ceux qui seraient libres.

Aussi comme cela n’avait rien d’intéressant et que ce qu’ils pouvaient m’apprendre, je l’avais bien mieux appris au Brevet, je fis comme un grand nombre de ceux qui étaient là, je partis.

Aux ateliers l’agencement de trains sanitaires chauffés se continue rapidement. Samedi j’ai passé toute ma journée dans les wagons pour faire des essais comparatifs de chauffage avec divers combustibles. D’avoir si souvent ouvert les portes des wagons, où il faut déployer la force d’un cheval pour y arriver, j’en ai encore mal aux bras aujourd’hui.

Depuis quelques jours le froid est très intense, il gèle très fort à glace tous les jours et de nombreux trains passent ici couverts d’une très forte couche de neige.Aujourd’hui il y a un verglas qui empêche de marcher, avec mes souliers ferrés j’avais de la peine à marcher ce matin.

Hier je suis allé voir un de mes camarades des ateliers qui a été mis à la disposition de l’autorité militaire et qui a été versé au 8ème escadron du train comme brigadier fourrier. (Sous-officier chargé de distribuer les vivres, de pourvoir au logement des soldats en route) Comme j’étais allé prendre l’apéritif avec lui et plusieurs sous officiers ils n’ont pas voulu me lâcher et m’ont emmené dîner avec eux au mess des s/offs voulant me faire goûter un peu de la vie militaire. Nous n’avons pas été servis dans de la vaisselle argentée, ni dans de somptueux salons, le matériel du régiment et une salle blanchie à la chaux avec ses bancs formaient tout le décorum, mais quel dîner ! Rarement j’ai aussi bien mangé, ils ont comme cuisinier un véritable cordon bleu. Rien n’y manquait, vin ordinaire, vins vieux, champagnes et liqueurs (vieilles eaux de vie de Bourgogne, Armagnac, etc …) sans oublier les cigares, des vrais, et quelle gaieté, et il paraît que c’est tous les jours comme cela, en attendant leur tour de partir avec des convois. Au dessert, des chanteurs sont venus compléter la fête, c’était de vrais artistes, ils nous envoyaient des airs d’opéra, des chansons patriotiques et aussi quelques chansons gaies, c’était épatant. Bref je suis enchanté de mon dîner.Mais il est vrai que cela ne sera pas toujours ainsi, car j’ai vu en passant les bleus qui n’étaient pas tout à fait à la même fête.

J’espère avoir bientôt de vos nouvelles, et savoir ce que vous me conseillez, de partir au 1er décembre ou d’attendre d’être convoqué.

Quoiqu’il en soit, mon départ ne saurait maintenant bien tarder, et comme ma réserve d’argent commence à s’épuiser, je serais très content si vous pouviez m’en envoyer, car j’ai peur d’en manquer pour me liquider à mon départ.

En attendant de vos nouvelles et surtout de vous revoir bientôt, je vous embrasse bien affectueusement.

Votre fils qui vous aime de tout son cœur.

Jean Genin

N. On m’a fait cadeau ici d’un joli passe montagne très doux et très chaud.

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