1ers jours de caserne

Dans le document militaire « État des services » qui concerne Jean on peut lire qu’à partir du 15-12-14 il est soldat de 2ème classe au 61ème Régiment d’Infanterie 26ème Compagnie ;

Jean est à la caserne Rampon de Privas ( 07 Ardèche).

Il prépare l’examen d’admission pour être dans le Peloton des E.O.R (Élève des Officiers de Réserve)

Privas – le 17-12-1914          (P2- 1 sur 6)

Mes chers parents

Voici mon 3ème jour de caserne et je ne suis pas encore habillé sauf un misérable bourgeron (blouse courte que porte le soldat à la caserne) avec une gamelle et un quart.

Hier il est parti un fort détachement pour le front (classe 1914) aussi tout le monde était sur pied et l’on n’avait pas le temps de s’occuper de nous. A part quelques froussards qui se sont fait porter malades au moment de partir, tous partaient contents et pendant la 1ère nuit à la caserne, et qui était la dernière des partants, nous n’avons guère dormi et nous ne sommes guère reposés car à minuit ça chantait encore dans les chambrées. On ne vit des pleurs et des figures tristes que parmi ceux qui restaient et qui ne sont pas nombreux ; ainsi dans notre chambrée nous sommes 37 et il en reste seulement 5 de la classe 14, dont notre caporal qui est très chic.

Hier matin, notre capitaine qui a également l’air d’être très gentil nous a tous fait appeler individuellement et nous demandait des renseignements sur notre instruction professionnelle et instruction militaire, je n’ai pas manqué de faire savoir tout ce qui pouvait être utile à mon avancement.

Ainsi que je vous le disais par la carte que je vous ai envoyée à mon arrivée, j’ai fait bon voyage, sauf un coup de tampon en gare de Valence par un train de marchandises qui arrivait pendant que nous stationnions ; Auboyer qui était à la fenêtre du compartiment avait vu venir le coup et venait de nous avertir quand le choc se produisit, et ce qu’il y a de plus fort c’est que ce fût lui qui fût projeté contre l’angle de la fenêtre et que nous n’eûmes pas de mal, sa blessure est insignifiante car cela n’a même pas entamé la peau, tout juste la trace du coup sur la joue. Mais dans le train il n’en n’a pas été de même, certains ont été blessés, surtout un marin que l’on a été obligés d’emmener à l’infirmerie pour le panser, mais résultat final il y a eu plus de peur que de mal.

L’arrivée à Privas fût bien ce que je prévoyais, dans quel trou je suis tombé, vous ne vous en faites pas idée. C’est un vrai pays perdu, au milieu de montagnes de roches et de châtaigniers, dont l’aspect n’a rien de charmant, il s’en faut.

Quant à la caserne c’est aussi maigre, encore ais je eu de la veine de tomber dans une Cie qui n’était pas en cantonnement dans la ville, de sorte qu’étant arrivés les premiers j’ai eu la veine de tomber sur un lit.N’allez pas vous imaginer quelque chose de merveilleux, il s’en faut, 2 petits tréteaux de 25 cm de haut, 3 planches, 1 matelas de 10 cm d’épaisseur, 1 traversin en crin, 1 couverture et 1 couvre pied, sans drap ; avec ça je suis heureux et favorisé mais naturellement obligé de coucher habillé, c’est dur mais on s’y fait.

C’est à peu près ce que j’ai de mieux car d’abord on est consigné tant que l’on sera pas habillé sinon plus, ce qui n’a rien d’agréable vous allez voir pourquoi.

D’abord la gamelle est mangeable mais parce qu’on n’a que ça et comme quantité cela fait un peu défaut, et ensuite on n’a jamais de vin. D’autre part il n’y a pas de cantine (magasin qui permet d’acheter en plus de l’ordinaire) à la caserne aussi pas moyen de manger à sa faim puisqu’on ne peut pas sortir et acheter de l’extra.

Je reprends ma lettre que j’ai été obligé d’interrompre car on vient de nous habiller ou du moins de commencer, de sorte que nous ne pouvons toujours pas sortir, pas avant d’avoir touché l’armement nous a t on dit c’est à dire d’ici quelques jours.

Maintenant, contrairement aux autres régiments, les imbécillités du temps de paix n’ont pas disparues, car il faut faire le paquetage et déménager les civils (les habits civils) ainsi que les valises, on ne tolère que des petites caisses.

Comme solution à tous les petits inconvénients de la vie de caserne , j’ai pensé à ce qui suit.

Vous pourriez m’envoyer mon coffret que j’avais au pensionnat en enlevant le compartiment de dessus. En profitant de l’occasion, et pour améliorer l’ordinaire, vous pourriez m’envoyer un saucisson avec des tablettes de chocolat, cela aidera à faire passer le pain car il ne manque pas et on en grignote tout le temps. On ne quitte pas la chambrée et on reste des heures entières à s’ennuyer et manger est notre unique passe temps.

Vous pourriez joindre aussi, c’est essentiel, une petite trousse pour coudre composée de fil blanc, rouge, bleu et noir ainsi que quelques aiguilles, avec laine pour les chaussettes, ainsi qu’un petit ciseau et un dé. Dans la trousse vous ajouteriez la petite brosse à ongles que j’ai rapportée de Dijon, pour nettoyer mes affaires, car l’on ne touche pas du neuf, nous avons tous des vêtements de blessés revenus du front, même ma capote (grand manteau par dessus) qui a appartenu à un sergent a encore des tâches de sang.

J’espère que vous pourrez m’envoyer ce colis le plus tôt possible, car il va falloir déménager ma valise sous peu et je n’aurai plus rien pour fermer mes affaires.

Je vous écrirai bientôt comment on nous occupe toute la journée, car jusqu’à maintenant ça n’a pas bardé mais ça ne veut pas tarder à venir.

Je vous dirai simplement que c’est à cheval sur mon lit que je vous écris, c’est pas confortable mais on s’y fait.

En attendant impatiemment de vos nouvelles, je vous embrasse tous bien tendrement.

Votre fils qui vous aime de tout son cœur.

Jean Genin

One Comment

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *