Excursions sac au dos, tirs à balles réelles et soucis sanitaires …

Draguignan Le 5-02-1915             (P3- 4 sur 16)

Mes chers parents

C’est en arrivant d’une marche qui a duré toute la journée que je vous écris ce soir, car je suis tellement fatigué que j’ai hâte d’aller me coucher et n’ai pas la force de travailler. D’ailleurs le cours de ce soir a été supprimé un peu à cause de cela et pour une raison que je vous indiquerai tout à l’heure.

Partis depuis 8 h ce matin nous sommes rentrés seulement ce soir à 5h . Nous avons cantonné dans un petit village nommé Flaviote (Flayosc en fait, à 6 km de Draguignan) où nous avons mangé un malheureux repas froid bien maigre, heureusement qu’il nous a été toléré d’aller au village.Et pour tout cela nous n’avons eu seulement 1h1/2 de repos. Tout le reste du temps nous avons marché ou plutôt excursionné mais hélas sac au dos et chargé, car nous n’avons pas fait un maximum de 6km sur la route dans toute la journée. Le matin nous avons fait tous les services de sûreté en marche  patrouilleurs, éclaireurs, etc … C’était très fatiguant et ce soir du service en campagne nous sommes monté en escalade à travers bois jusqu’au sommet des montagnes, là nous avons fait une marche des plus durs dans les broussailles et les bois de sapin sans oublier les rochers, puis après avoir descendu et remonté je ne sais combien de fois nous sommes allés en traversant un torrent nous poster sur une hauteur où nous avons reçu par des salves nourries le 7ème Bataillon de Chasseurs qui était dans les parages. Cela nous a donné une idée de ce qui se passe au front. C’était terrifiant, par moments certaines rafales plus violentes. Puis nous sommes revenus à Draguignan en ligne droite en escaladant tout ce qui se trouvait devant nous, c’est ainsi que nous avons traversé une montagne presque abrupte, dernier contre fort avant d’arriver à la plaine où se trouve Draguignan.Mais de là haut nous avons été récompensés de nos peines car nous jouissions d’un panorama magnifique ayant pour horizon tout à fait dans le lointain la grande bleue c’est à dire la mer.

Mais comme vous devez bien le penser et ainsi que je vous le disait plus haut je suis vanné et d’autant plus qu’hier déjà nous sommes allé tirer au champ de tir qui se trouve à 1h1/2 de marche en pleine campagne ; aussi vous m’excuserez d’être si court pour cette fois.

Cependant je ne terminerai pas sans vous parler d’une chose qui tient ici tout le monde bien inquiet.

Je vous ai signalé dans ma dernière lettre l’épidémie de scarlatine qui sévit chez nous, et bien loin d’être enrayée le fléau continue et s’aggrave considérablement car la typhoïde (en observation seulement) et la méningite cérébro-spinale vient de s’abattre sur le peloton.

Hier soir à 23h on a fait évacuer , en présence du capitaine et du major, les camarades de chambrée et celui atteint de méningite, et depuis sont en quarantaine complète enfermés dans notre salle d’étude. Il est expressément défendu d’en approcher.

Vous voyez donc que le cas est très grave, car paraît il, notre infortuné camarade ne doit pas passer la nuit.

Comme mesure d’hygiène prise on nous avait fait desserrer de moitié dans les chambres et munis d’un matériel de literie complet avec un peu plus de confort , puis du thé souvent ; mais ce soir il est fortement question de quitter Draguignan au plus tôt. Tout le monde est sur pied et demain il doit y avoir revue par le Major de tous les hommes du peloton et de l’état sanitaire sera décrété sans délai à notre départ.

En tout cas moi je me porte bien , sauf un petit rhume de poitrine pris au cours de ces randonnées, où tout en sueur on traverse des ravins glacés encore pleins de neige car le soleil n’y pénètre jamais ; mais ce ne sera rien car je me soigne bien, en me mettant de la teinture d’iode, me tenant bien au chaud et en avalant force laits chauds, vins chauds ou grogs.

En outre malgré ma répugnance, je me mets aujourd’hui à fumer comme un sapeur pour prévenir tout microbe de la méningite.C’est ce que l’on a recommandé et surtout d’enfumer les chambres.

En tout cas je vous tiendrai immédiatement au courant de ce qui se passera, par un simple mot si je n’ai pas le temps mais je vous tiendrai au courant.

Pour ce qui est du petit canif trouvé par Marguerite, c’est un petit canif que j’avais à Dijon et que j’avais emporté sans le vouloir en partant pour Privas ; de plus je n’avais pas pensé de vous en parler en vous renvoyant mes affaires.

J’ai reçu aujourd’hui des nouvelles d’Auboyer qui n’est pas très charmé par le métier.

En attendant de vos nouvelles je vous embrasse tous bien fort et bien tendrement,

Votre petit soldat

Jean Genin

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