État sanitaire alarmant du peloton

Draguignan – 11-2-1915      (P3- 5 sur 16)

Mes chers parents

Vous devez être bien inquiets depuis le reçu de ma dernière lettre, surtout voyant que vous ne recevez pas d’autres nouvelles ainsi que je vous l’avais promis. Mais depuis le lendemain que je vous ai écrit, je suis entré à l’hôpital où je suis toujours, mais n’allez pas vous alarmer c’est simplement en observation et je ne tarderai pas à sortir.

Je vais vous raconter par ordre comment cela est arrivé et toute la guigne qui s’est abattue sur notre peloton qui est d’ailleurs suspendu pour un certain temps ; c’est à dire qu’il n’y a plus cours ni exercices et que tous ceux qui ne sont pas malades ou en observation sont libres du matin au soir faisant des promenades et ne travaillant qu’à une chose, à bien se porter et à n’être pas malade.

Tout d’abord notre malheureux camarade atteint de la méningite cérébro spinale, un engagé volontaire de 17 ans mourut dans la nuit de vendredi à samedi après 2 jours de maladie. Aussitôt toute sa chambrée fut mise en observation et en quarantaine dans un local spécial dont il était défendu d’approcher.

Puis toute la journée du samedi fut passée en désinfections de toutes sortes de la caserne, ainsi qu’en travaux de nettoyage et de propreté. Tout le monde était atterré car l’on signalait sans cesse de nouveaux malades et d’autre part malgré les multiples démarches faites pour quitter Draguignan au plus tôt, cela fut déclaré impossible à la fin car nulle des rares villes où nous aurions encore pu aller en raison de la place dont disposait les garnisons , ne voulu accepter le peloton en si mauvais état sanitaire. A Draguigan même on n’a pas osé nous transporter aux nouvelles casernes de peur de contamination et j’appris hier que le peloton avait enfin quitté cette funeste caserne pour aller s’installer dans l’école normale de garçons.

Mais revenons à samedi soir, je vous avais écrit la veille que j’étais enrhumé et cela avait un peu empiré car j’étais fortement pris de la poitrine et de la gorge, j’en était assez ennuyé devant le danger qui nous menaçait, aussi le samedi soir je sortis en ville, chercher mon linge d’abord, puis prendre des citrons et un lait bien chaud au rhum ; ayant l’intention si cela n’allait pas mieux le lendemain matin de ma faire porter malade. Mais en rentrant à la caserne je croisais dans les escaliers le major accompagné de notre adjudant et étant entré dans ma chambre où justement un de mes camarades était malade, j’appris que le major avait ordonné le transport de plusieurs à l’hôpital aux fins d’observations, alors, saisissant l’occasion au vol, je me mis à la poursuite du major et lui exposais mon cas, car je me sentais fatigué mais la peur me faisait croire plus malade que je ne l’étais en réalité. Cependant après m’avoir examiné sommairement il m’ordonna également mon entrée à l’hôpital en observation. C’est ainsi que sans plus tarder on envoya chercher l’ambulance et nous rentrâmes ce soir là 8 à l’Hôtel Dieu.

Depuis je suis dans une grande salle pleine de malades, , couché dans mon grand lit qu’il m’est défendu de quitter, et 2 fois par jour nous sommes minutieusement examinés pour voir si nous n’avons aucun symptôme ; car quelques cataplasmes et des gargarismes eurent vite raison de ma toux et de mon mal de gorge.

Pour bien vous montrer que je n’étais pas sérieusement malade, je vous dirai que je n’ai pas cessé d’être affamé, aussi cela m’a été dur de rester 3 jours complets au lait. Hier seulement après avoir reconnu si nous avions de l’albumine, nous avons été autorisés à commencer à manger mais nous n’étions que 2 dans ce cas ; et aujourd’hui je mange complètement, vous devinez avec quel plaisir. D’ailleurs je n’ai jamais eu de fièvre et dépassé 37°. Aussi je vois avec plaisir ma délivrance approcher car le temps me dure de rester si longtemps au lit dans un pareil milieu. Je ne me serais jamais imaginé si triste la vie d’hôpital. Jugez de la gaieté de la situation quand la 2ème nuit que nous étions là, il mourût dans la salle un vieillard et celui ci resta sur son lit une journée avant d’être emporté. Enfin je m’étais résigné et fait une raison car, de cette façon, si j’avais eu quelque chose j’aurais au moins été sûr de l’avoir pris à temps. Également si je ne vous ai pas écrit plus tôt, c’était à fin de ne pas vous alarmer et je voulais être absolument certain avant de vous mettre au courant.

Demain j’espère me lever pour rejoindre le peloton samedi ou dimanche, mais je ne puis rien affirmer car le major ne se presse pas étant donné que les cours sont suspendus.

En tout cas ne vous faites pas de mauvais sang car je n’ai absolument aucun symptôme et maladie et me porte à merveille.

En attendant de pouvoir bientôt vous annoncer mon départ d’ici et également de vos nouvelles, je vous embrasse tous bien tendrement

Votre fils qui vous aime de tout son cœur,

Jean Genin

 

Draguignan Le 13 – 2 – 1915   19h

Mes chers parents

Je m’empresse de vous écrire ce soir pour vous annoncer ma sortie de l’hôpital cet après midi, c’est vous dire que je me porte à merveille et que vous ne devez pas être inquiets à mon sujet. M’étant levé seulement vers midi depuis samedi dernier que j’étais couché je me sentis tout d’abord un peu faible sur mes jambes, mais d’avoir marché tout l’après midi cela a complètement disparu et suis maintenant tout à fait dans mon état normal.

En rejoignant le peloton encore tout bouleversé dans sa nouvelle installation on me remit votre dernière lettre du 10 , mais je pense que vous êtes maintenant en possession de celle que je vous ai écrite de l’hôpital. Les cours sont toujours suspendus.

En arrivant, j’ai eu moi aussi à déménager toutes mes affaires qui étaient restées enfermées avec tous ceux de mes camarades malades, dans une chambre séparée de notre funeste caserne. Cependant l’école normale où nous avons échoué ne sera guère plus confortable à part cependant le bâtiment beaucoup plus moderne avec beaucoup d’air et de lumière ainsi que l’électricité, nous sommes très serrés car c’est petit pour nous contenir tous et l’on fait comme l’on peut. En particulier l’on recouche à nouveau à terre sur une simple paillasse, mais j’ai 3 couvertures, de sorte que je ne me plains pas trop, et puis il faut s’y faire, je ne serai peut être pas toujours aussi bien.

Je n’ai pas encore trouvé l’occasion de me faire photographier en tenue de campagne et il me semble que cela aurait moins d’intérêt de le faire autrement, c’est pourquoi j’ai attendu, néanmoins si d’ici quelques temps je vois que je ne puisse faire autrement , je le ferai tout de même.

Ma provision d’argent s’épuisant, je vous serais très reconnaissant de bien vouloir m’en envoyer la prochaine fois que vous m’écrirez.

En attendant je vous embrasse tous bien tendrement.

Votre petit soldat qui vous aime

Jean Genin

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