Des services en campagne pas toujours drôles …

Draguignan Le 11-3-1915     (P3- 7 sur 16)

Mes chers parents

C’est avec un grand plaisir que j’ai reçu la lettre de Marguerite et appris que vous alliez mieux, ce dont je ne doutais d’ailleurs pas, mais l’incertitude est cruelle, et j’espère d’ailleurs que vous êtes maintenant complètement rétablis.

J’ai bien reçu également avant hier soir le colis en bon état et je vous en remercie beaucoup. Comme ceci je suis maintenant complètement monté, et ingénieux comme je suis , je vous assure que si je travaille je sais me soigner et la méthode me réussit car je me porte à merveille. Ma douleur dans le bras gauche me cherche bien un peu mais ce n’est rien et je n’y fait même pas attention.

Lundi, tandis que l’après midi nous étions en plein service en campagne dans les bois au milieu de la montagne, nous avons été assaillis par une tempête de grêle qui dura près d’une heure et il en est tant tombé qu’aujourd’hui on en apercevait encore sur les sommets. Comme tout abri juste une petite maisonnette de refuge de bûcheron, nous nous précipitâmes dessus mais étant donné l’étroitesse du lieu une bonne partie d’entre nous resta dehors, quoique cette masure qui ne mesurait pas plus de 4m sur 4m abrita 82 de nos camarades, jugez de l’entassement. Quant aux autres dont je faisais partie, nous nous sommes mis en vitesse en mesure de nous abriter et à cet effet nous avons dévalisé un fagotier se trouvant à proximité pour nous faire des cahutes indiennes ; le travail ne fut pas long mais étant donné la violence de l’orage, petit à petit nos abris furent traversés, et nous, mouillés. D’ailleurs nous le fûmes bien plus après car l’orage ayant cessé mais la pluie tombant toujours nous regagnâmes notre casernement avec le sourire et chantant à tue-tête malgré le ruissellement de l’eau sur nous. Inutile de vous dire que nous allongions le pas ; il n’y a rien de tel qu’un stimulant comme cela pour nous faire marcher. En rentrant nous nous sommes changé, je me suis fait un bon chocolat bien chaud et nous avons continué à travailler à la salle d’étude.

J’aurais voulu que vous nous voyiez dans ces cahutes entassés par groupes de 4 à 5 sous ces amas de fagots faits de branches de sapins. Heureusement que nous étions en treillis, et ils ont pris quelque chose, vautrés comme nous l’étions.

Aujourd’hui nous avons eu une 4ème visite du Général et cette fois très sérieuse ; nous sommes restés tout l’après midi en service en campagne où il nous a suivi pas à pas en nous interrogeant.

Il a trouvé que nous manquions d’enseignement pratique à certains sujets ; aussi va t il faire mettre à notre disposition mitrailleuses, télémètres, explosifs de toutes catégories, matériel pour la construction et la destruction des réseaux de fil de fer, les grenades et leur lancement, etc … tout un enseignement dont on nous bourrait la tête de théories.

(photo: télémètre 1915)

Ceci serait à mon avis un indice que l’on n’écourtera au moins pas le peloton. Mais la vie militaire est si bizarre qu’il ne faut s’étonner de rien ; ce ne sont qu’ordres et contre-ordres.

 

A part cela nous bûchons toujours beaucoup car nous commençons la révision générale, ce qui n’est pas peu de chose avec un programme chargé comme nous l’avons.

En attendant de vos nouvelles je vous embrasse tous bien fort et bien tendrement,

Votre petit soldat qui vous aime

Jean Genin

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