Bientôt les résultats… 

Privas, le 13-01-1915    (P2- 6 sur 6)

Mes Chers Parents,

J’ai bien reçu aujourd’hui votre lettre ainsi que le billet dont je vous remercie beaucoup. C’est comme vous me l’avez envoyé un moyen beaucoup plus simple que par mandat et tout aussi sûr, car vous savez que comme militaire je n’ai pas le droit de toucher de l’argent à la poste et que je suis obligé de passer par le vaguemestre. Or, outre les indiscrétions plus ou moins méchantes dont on est victime, on a comme vaguemestre un vieux sergent rempilé et abruti par l’alcool qui a eu la chance d’avoir son emploi pour l’empêcher d’aller au front car la première balle lui aurait été destinée ; aussi c’est une calamité d’avoir besoin de lui surtout quand il est mal tourné. Tout ceci pour vous dire que le moyen que vous avez choisi est à tout point de vue préférable.

Quand au résultat de mon examen j’attends toujours, mais il ne doit maintenant beaucoup tarder, les cours devant commencer le 20 à Draguignan. Je vous dirai ensuite que j’ai de plus en plus confiance, ceci basé sur plusieurs symptômes que j’ai pu observer, mais sans être encore certain.

Hier tandis que la compagnie était sous la pluie à une manœuvre de service en campagne, le s/lieutenant de la compagnie, en convalescence d’une blessure reçue après 3 mois de campagne, nous fît, aux élèves officiers dans la chambrée une causerie familière sur la guerre actuelle, en tirant des conclusions pratiques pour nous, appelés à diriger une section. Aussi vous pensez si nous avons recueilli précieusement ces renseignements car en cette matière rien n’est négligeable.

Hier soir également en prévision de notre prochain départ pour Draguignan nous fûmes armés et équipés. L’armement a déjà vu les boches mais a été retapé soit dans une manufacture soit dans un arsenal, car mon fusil a une crosse dans un état pitoyable, pleine de coup, mais par contre le fût est neuf et le reste assez bien retapé ; quant à l’équipement il est entièrement neuf, sauf le sac, et en toile spéciale comme il se fait actuellement et non en cuir, de sorte que l’on a une économie d’astiquage et une diminution de poids à transporter.

Ce matin nous sommes allés en marche avec les autres, mais cela n’a pas été trop long et cela nous a fait du bien. Quant à ce soir, tandis que la compagnie était en service en campagne, revêtu pour la 1ère fois du harnachement complet, nous avons fait de l’école de section en arme sous la direction d’un sergent, mais cela en père pénard car nous étions beaucoup plus souvent à la pause qu’à l’exercice. Je me doute bien que cela ne sera pas toujours aussi rose et que, si j’ai la chance d’aller à Draguignan cela bardera un peu plus ; mais en attendant c’est toujours du bon temps de pris et cela est la théorie du régiment ; d’ailleurs nous n’avons qu’à attendre la résultat pour le moment.

J’ai ici à la compagnie comme camarade un élève officier comme moi qui est le fils du chef du Petit Entretien de Lyon Guillotière, que je connaissais très bien de nom lorsque j’étais à Périgny. Quant aux camarades de mon escouade ils sont également très gentils. Mais il y a fatalement le contact que l’on est obligé de supporter avec des individus plus ou moins respectables, seulement dans ces conditions je vais tenir mes distances. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles je serai très heureux d’être élève officier, c’est que je n’aurai comme camarades que des jeunes gens très bien élevés, je m’en suis déjà aperçu à Marseille et cela est autrement intéressant car l’on peut causer et se promener sans s’ennuyer et sans avoir honte. En outre en sortant de l’école en étant recalé ou en ayant réussi, l’on en sort toujours gradé, caporal ou aspirant, de sorte que de ce côté-là on n’a plus rien à craindre.

J’ai reçu déjà 2 cartes de Mme Berthier qui m’encourage beaucoup dans la voie où je me suis lancé.

J’ai l’intention d’ici quelques jours de me faire photographier et j’ai l’intention d’essayer de le faire en tenue de campagne car il y a maintenant beaucoup de chance pour que vous voyiez jamais votre petit piou-piou, mais un gradé, avec quel grade ? …

Je ne sais si je vous ai dit que j’ai touché une autre capote lors de mon examen devant le colonel, la première qui était pleine de sang était trop courte pour moi. Maintenant elle me va à peu près mais n’est pas merveilleuse ; cependant on touchera bientôt du neuf car hier on nous a pris mesure pour les effets de guerre.

Je me porte toujours bien et vous souhaitant d’en faire de même je vous embrasse tous bien tendrement espérant bientôt vous annoncer mon départ pour le Côte d’Azur.

Votre petit soldat qui vous aime,

Jean Genin

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