Dijon- le 9-08-1914 (P1- 4 sur 7)
Chers parents,
J’ai reçu votre lettre hier au soir seulement, mais il ne faut pas s’étonner du retard, car, réglementairement, les lettres doivent stationner à la poste 48h au départ et 48h à l’arrivée pendant la durée de la guerre.
Nous portons maintenant aux chemins de fer tous le brassard de mobilisation et toutes les fois que je sors, j’arbore mon brassard rouge avec le galon de sergent. En ville, tous les hommes qui restent, à part de rares exceptions, portent un insigne indiquant la mobilisation de ceux qui sont non disponibles et c’est presque toujours un brassard. On voit ainsi tous les employés des chemins de fer, des postes, des ponts et chaussées, de la préfecture, de la Mairie, etc … sans oublier les brancardiers et infirmiers. Aux ateliers, le travail diminue de plus en plus, car le déchargement des marchandises s’est calmé et il ne rentre plus de wagons avariés. Aussi beaucoup d’hommes sont ils envoyés à la gare et au dépôt qui sont surchargés, pour renforcer le personnel.
Cependant les ateliers ont un nouveau genre de travail car ils sont devenus le centre du dépôt des ponts de secours pour le remplacement immédiat de ceux que l’on ferait sauter. Il y en a déjà 25 en agencement. Plusieurs d’entre eux sont chargés, prêts à partir avec une équipe de secours sous la direction d’une section du 5ème Génie détachée à Dijon.
Les trains passent toujours très nombreux à Dijon et pleins de soldats dont l’ardeur et l’enthousiasme sont indescriptibles.
Dijon tout entier est un des plus grands centres militaires, surtout du point de vue ravitaillement.
Terminant le 2ème niveau de défense, c’est un des plus formidables camps retranchés de l’Est. La ville même est occupée par 20 000 hommes et sa défense totale s’élève à 10 000 hommes.
Les fours de guerre, situés entre les ateliers et l’Arsenal, sont une véritable fourmilière de boulangers qui envoient chaque jour à la frontière 320 000 rations de pains, sans compter toutes les sections de fours de campagne qui en sont partis durant cette semaine.
En outre, voilà 3 jours, il vient d’arriver environ 400 autobus garés dans les allées du Parc venant de toutes les destinations et principalement de la région des Alpes et de Paris, qui vont servir au transport de la viande ; une quantité considérable d’animaux étant tués aux abattoirs de Dijon.
Il sort chaque jour de l’Arsenal 42 000 tonnes de poudre et des wagons d’essence et d’huile sont déchargés à Longwy-Aviation.
Si triste au fond que soit la guerre, il est réconfortant de voir l’entrain et la bonne humeur de chacun et surtout l’enthousiasme général.
La joie avec laquelle partent tous ces soldats ne laissent aucun doute sur la victoire, confirmée d’ailleurs par les dépêches quotidiennes.
Je n’ai encore rien reçu, mais ce sera certainement avant la fin du mois ; le temps commence à me durer de partir moi aussi.
Je comprends le souci et le travail que doit vous donner la boulangerie, aussi c’est à souhaiter que ce soit promptement fini ; ce qui est fort probable étant donné les brillants et rapides débuts. Mais il y a une chose sur laquelle il faudra compter c’est après la guerre, l’occupation du territoire qui sera certainement assurée par les jeunes troupes, de façon à renvoyer les réservistes dans leurs foyers ; c’est sur cela que je compte et c’est pourquoi je suis impatient de partir.
Je vous embrasse bien fort.
Jean Genin
PS : Comme il n’est pas possible d’expédier quelque chose maintenant, je fais comme je peux, dès que le trafic sera un peu mieux rétabli, je vous écrirai ce dont j’ai besoin ; peut être même pourrai-je aller vous voir …