(P4- 11)
Ce poème, très émouvant, a été composé par le Capitaine Pierre Feyzeau du 163ème RI, que Jean a peut être côtoyé, ou bien a t il eu connaissance de ses œuvres. En tout cas, Jean l’a recopié avec le plus grand soin en septembre 1915 et conservé précieusement dans ses documents personnels. Faisait-il siennes les paroles de Pierre Feyzeau? Sans aucun doute.
Plus tard, Jean l’a fait dactylographié (par une secrétaire de son entreprise de Travaux Public?).
Et enfin je l’ai saisi sur traitement de texte et le voilà sur ce site internet…
La transmission prend les chemins que lui offre son époque.
D’ autres poèmes du même auteur sont conservés par Jean-Pierre David, maire de Flirey (Meurthe et Moselle).
« REVENIR ! … »
1
Si je ne reviens pas, c’est que dans la Rafale
Qui s’abreuve de sang pour être triomphale,
J’aurais versé le mien, implacable destin,
Dans un an, dans un mois, ou peut être demain ;
Car je n’aurai pas su l’heure du grand mystère.
Aurais-je seulement mes 4 pieds de terre
Pour recouvrir mon corps, laisser dormir mes os,
Et jouir dans la paix de l’Éternel Repos ? …
Où frappera la mort, quand viendras tu Trépas ? …
Que m’importe après tout, si je ne reviens pas.
Car si je ne reviens pas, c’est qu’aux grands mots de Gloire
De Patrie et d’Amour, d’Honneur et de Victoire,
J’aurai sacrifié tout sans regret et sans peur ;
Rêves, espoirs, amour, tout ce qui tient au cœur,
Passé, présent et vous trop furtives promesses
Qui bercez l’avenir d’espoir et de caresses.
J’aurais sacrifié tout ! O souvenirs d’enfance
Chantez bien fort en moi vos chants de souvenance,
Attendrissez mon cœur, mais faites que mon bras
Ne faiblisse jamais … si je ne reviens pas !
Si je ne reviens pas, c’est que par un beau soir
A cette heure si calme où tout parle d’espoir
Où le canon se tait, où la mort se recueille,
A l’heure où l’oiseau met sa tête sous la feuille
A cet instant béni où la terre s’endort
Trouant soudain la nuit d’un faible cri de mort
Une balle viendra me frapper en plein rêve
Et la mort m’aura pris avant que ne s’achève
Le songe commencé … C’est toi qui souffrira
Toi qui doit vivre encore, si je ne reviens pas.
Mais si je dois souffrir, c’est que dans le carnage
Où l’on entre en hurlant, où l’on tue avec rage,
Où le sang des blessés ferait un large fleuve
Si le sol altéré n’était là qui s’abreuve ;
Dans ce carnage affreux où nous sommes tombés
Piétinés et sanglants, déjà défigurés
Cherchant en vain, là haut, un lambeau de ciel bleu.
Sur ton sol, bras en croix, auréolés de feu
Semblables à des Christ, cloués par des Judas.
O France ! ils sont bien morts tes pauvres petits gars.
2
Quand ce sera fini, quand notre chère France
Toute pleine à la fois de deuil et d’espérance
Revivra le passé. Quand vers les durs rivages
Où la mort déferlera, les saints pèlerinages
Vogueront pieusement sous de longs voiles noirs
Qui cachent tant de deuils et tant de désespoirs
Quand sur les pauvres morts qui n’auront pas de bières
Des larmes tomberont pour clore des paupières
Quand à la pauvre place où mon corps dormira
Tu rêvas de venir … et quand Elle viendra …
Alors je voudrais tant, qu’ayant pris ta parure
Des plus beaux jours d’été, tu sois belle O Nature,
Et que ce soit le soir, un de ces soirs si doux,
Où contemplant le ciel, on se mette à genoux …
Quand elle avancera par la route poudreuse,
Oiseaux vous chanterez votre chanson joyeuse,
Et vous, grands arbres verts, et vous vertes prairies,
Qui regardiez le soir glisser mes rêveries,
Pour mieux voiler vos plaies, vos deuils, votre souffrance
Vous remplirez ses yeux du vert de l’Espérance.
Elle lira, passant, sur les croix toutes simples
Qui furent plantées là avant que d’être peintes ;
Les « Mort au Champ d’Honneur » sur qui coula le noir
Des noms écrits trop vite avant qu’il fut très soir ;
Et reposant ses yeux sur l’immense Woëvre
Dont la teinte si douce apaisera sa fièvre,
Elle distinguera perdus dans les lointains,
Les clochers démolis par les canons germains
Et les maisons brûlées et les tristes villages
Voilant leurs murs noircis dans les nouveaux feuillages.
S’arrêtant défaillante au bord de cette route
Qui retentit encore du bruit de leur déroute,
Et voyant tant de croix et tant de cimetières
Elle unira ces morts dans les mêmes prières
Puis dans le champ voisin, tout près d’un laboureur
Dont les bœufs ont repris leur marche avec lenteur
Remarquant soudain, là sur la terre qui bouge
Deux morceaux de drap bleu et de culotte rouge
Elle s’inclinera pour nous rendre à la Terre
O débris de Drapeaux, laissés là par la Guerre.
3
Mais à quoi bon vouloir connaître l’avenir !
Gardons toujours au cœur cet espoir « Revenir »
Et redisons sans cesse à ceux que nous aimons,
Pour calmer leurs tourments, nous autres qui souffrons,
Oui je veux revenir, quand cette race hautaine
Aura franchi le Rhin ; Quand toute la Lorraine
Aux accents délirants de notre « Marseillaise »
Tressaillira d’amour. Quand l’Alsace Française
Comme une grande amante à la lèvre embrasée
Se jetant dans nos bras, s’y blottira … pâmée ! …
Alors je reviendrai quand nos chants de victoire
Auront à nos vieux murs rendu leur vieille gloire
Quand aux sombres canons, taisant leur voix d’airain
Nos fiers clairons joyeux, diront leur gai refrain,
Quand le ciel sera bleu, quand les sombres rafales
Auront fui devant vous, ô marches triomphales
Et quand superbe et fier de ses couleurs divines
Qui font des cœurs de lions dans toutes les poitrines
Ayant franchi d’un coup la Moselle et le Rhin
Notre drapeau vainqueur flottera sur Berlin.
Capitaine Pierre Feyzeau
Pour copie conforme le 29 – 9 – 1915
Sous Lieutenant Jean Genin – 163 ème R.I