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Photo en tête d’article: Morhange, le 18-11-1918 : la population accueille avec enthousiasme le Général Passaga et les troupes françaises.
Où Jean parle de journées inoubliables à Morhange et à Metz et de la joie des populations d’être délivrées du joug boche. Jean raconte aussi pourquoi le Général Mangin n’a pas pu participer au défilé final à Metz… (Certaines sources évoquent une joute orale entre le Général Mangin et le pilote de l’avion qui s’est écrasé, celui-ci ayant voulu lui donner une petite leçon par un rase-motte qui s’est mal terminé; voir lien en fin d’article). L’aviation paiera très cher cet accident car elle sera interdite de participation dans les futures entrées solennelles de troupes françaises (Info donnée par Jean dans une lettre ultérieure du 12/12/18).
Le 20 novembre 1918
Mes Bien Chers Parents,
Je viens de vivre 2 journées réellement réconfortantes et certainement aussi inoubliables pour moi que le jour de l’Armistice à Nancy, c’est l’entrée solennelle des troupes Françaises à Morhange le 18, et hier à Metz.
Je suis certes très fatigué des formidables randonnées en auto que cela m’impose surtout par le froid actuel mais quelle récompense que l’accueil de cette splendide population Lorraine si réellement Française au-delà de tout ce que j’espérais. Il faudrait des livres pour décrire la joie de tous ces pauvres gens délivrés enfin du joug boche et ne sachant comment s’ingénier pour mieux recevoir les troupes françaises. C’est ainsi que tous les Lorrains et Lorraines en dépit des nouvelles mensongères dont on les abreuvait, depuis quelques temps en particulier, travaillent depuis 1 mois dans la plus grande cachette à la confection en famille des guirlandes et des innombrables drapeaux formant des voûtes multicolores au-dessus des rues pour le défilé triomphant des troupes Françaises.
A Morhange c’était, dans cette toute petite ville d’une simplicité vraiment touchante, toutes les jeunes filles du pays en costume national de Lorraines pour recevoir les Français ; j’ai d’ailleurs pris une série de photos dont le Général (Passaga) est absolument enchanté ; il faut dire que le beau temps s’était mis de la fête et qu’un soleil radieux a permis à tous nos avions d’exécuter une véritable fantasia au-dessus du défilé.
A Metz (Photos dans l’article précédent), moins beau temps car le soleil est resté caché, mais la magnificence du pavoisement et la joie de cette immense foule en délire était un spectacle impressionnant. Perché au 4ème d’un somptueux immeuble au milieu de l’immense esplanade j’ai vu de là, sans oublier de le fixer avec mon appareil photo, une des plus imposantes manifestations.
Deux accidents, qui heureusement se sont réduits à un moment pénible alors qu’ils auraient pu être une véritable catastrophe, ont attristé un peu le début de la cérémonie.
C’est d’abord le Général Mangin assez sérieusement blessé par son cheval emballé au cours de la revue des troupes avant le défilé, et ensuite un terrible accident d’un des innombrables avions qui, au-dessus de la ville se livraient à une manifestation aérienne comme je n’en avais encore jamais vu, et qui s’accrochant dans des fils téléphoniques au-dessus des toits vint s’abattre au milieu de l’esplanade devant l’emplacement du défilé, à 20m à peine de la foule compacte au coude à coude. 3 ou 4 personnes seulement, par miracle, ont été touchées dans la chute de l’appareil qui pouvait à quelques mètres de là faire une centaine de victime au minimum (Photo ci-dessous). Enfin, ce pénible moment a été vite effacé par l’entrée triomphale des troupes unanimement acclamées.
Toute la soirée la fête a continué par des défilés ininterrompus de Lorrains Lorraines et poilus chantant et conspuant le boche à tue-tête. Une merveille de retraite aux flambeaux avec feu d’artifice a achevé les manifestations extérieures ; tandis que l’intérieur de tous les lieux publics rivalisait pour continuer la fête.
Nous n’avons pas quitté Metz sans visiter les fameuses statues dont les boches étaient si fiers et auxquelles les Lorrains ont fait mordre la poussière depuis 2 jours ; Guillaume I, Frédéric Charles et Frédéric III sont détrônés de leurs piédestaux et ont commencé à partir en morceaux souvenir (Cartes postales dans l’article précédent et ci-dessous) ; une 4ème statue, la corde au cou, attend son tour, elle a dû seulement résisté un peu plus que les autres qui ont dû donner déjà beaucoup de mal ; mais cette nuit elle aura suivi le même chemin.
En outre la statue de Guillaume à la cathédrale a, comme par hasard, les 2 mains enchaînées, avec sur le ventre le panneau suivant en latin : « Ainsi fini la gloire de ce monde »
Mais je m’arrête car je passerais la nuit à écrire sans avoir jamais fini ; je vous raconterai cela avec de plus amples détails lorsque j’aurai bientôt le plaisir d’aller vous voir pour 10 jours.
Je vous embrasse tous de tout mon cœur bien fort et bien tendrement.
Jean Genin
Par le même courrier vous recevrez un journal de Metz, gardez-le précieusement. (Article suivant)
Photos ci dessous: le Général Passaga et les troupes françaises acclamés par la population à Morhange, le 18-11-1918. Toutes ces photos ont été prises par Jean à la demande du Général Passaga qui en sera très satisfait. Elles ont donné lieu à des tirages sur cartes postales dont une série complète a été gardée par Jean avec les photos.
Ce retour de l’Alsace-Lorraine dans le giron français n’est pas sans poser cependant quelques questions. Faut-il un référendum auprès de la population ? Est-ce un juste retour qui va de soi ?
Voici un article très complet sur la question, écrit dans « La Revue d’Alsace » (Fédération des Sociétés d’Histoire et d’Archéologie d’Alsace) par Joseph Schmauch en 2015.
A propos de l’avion qui s’est écrasé sur l’Esplanade de Metz le 19 novembre et de l’absence du Général Mangin au défilé solennel, voici un article sur ce sujet du Républicain Lorrain en date du 8/11/2018